Le Cahier Bleu

La possibilité d’une île

En cette deuxieme partie d’année, nous avons concretise un projet sur lequel nous avions commence a travailler il y a plusieurs annees. Sans le savoir, celui-ci s’inscrivait dans la continuite de reflexions mûries depuis l’entrée dans l’âge adulte. Alors que nos pas foulerons bientot le sol de d’Urville Island pour la premiere fois, j’essaye ici de dérouler les multiples lignes qui ont fini par se croiser et realiser ce reve.

Le 25 Octobre 2021 - Tags: blog, dUrville


Pour écouter "Stoney Creek de Xavier Rudd", cliquer ci dessous.

Pas un souffle de vent ne perturbe la surface huileuse de Punt Arm sur laquelle glisse l’embarcation. Seul un léger frottement d’air du au déplacement du canoe rafraîchit un peu la peau. Quelques metres en dessous, une stingray bleutée par l’eau, ondule ses ailes pour rejoindre un endroit un peu moins profond ou, elle l’espère, elle pourra se prélasser et profiter de la chaleur du soleil. Le chant des cigales me parvient depuis le bush. Les ratas et arbres fougères lancent leurs branches au dessus des eaux turquoises, comme un rempart. Adan est assis devant Seb, a quelques encablures de la, et Cosmo est posé sur mes genoux. Il me montre les poissons a grand coups de “ooooohh, regarde”! Quand, saoulés de lumière, nous échouerons nos barques, ce sera pour remonter jusqu’à la petite maison, perdue dans une forêt endémique de plusieurs milliers d’hectares. Personne a part nous quatre ne profitera du sublime coucher de soleil depuis notre petit promontoire. Nous rejouerons les moments forts de la journée avant de rejoindre nos chambres.

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Il y’a tres longtemps, alors adolescent, un reve avait commence a revenir épisodiquement, puis chaque soir, avant de glisser dans mon sommeil. Il ne m’a depuis, plus quitte et me revient quotidiennement. Je suis dans une gare lointaine et attends un groupe d’amis ou de la famille. Une fois les retrouvailles passées, je les emmene sur un grand voilier, ou un autre train (mais prive). Dans les deux cas, le trajet dure plusieurs heures ou plusieurs jours et la destination est une maison perdue dans un espace naturel immense et protege. Pas une protection légale ou juridique, non: une nature pure, sublime, qui n’a pas été abîmée, et dont on sait qu’elle ne sera jamais menacée. Cette maison se trouve en pleine montagne, surplombant une vallée en bas de laquelle se trouve un lac; ou alors elle se trouve sur une corniche, au dessus d’une douce plage. Ce reve m’a suivi jusqu’à aujourd’hui, a tel point qu’il y a quelques annees, j’ai écris une petite nouvelle, a peine romancée, pour le capturer: celle ci se concluait sur une ile des Marlborough Sounds appelée Arapawa island.

Jeune adulte, témoin de l’avènement de l’informatique, et ébloui par les jeux videos comme beaucoup de gens de mon age a l’époque, une serie m’avait beaucoup marque. Elle s’appelait Myst et proposait de résoudre des énigmes et autres puzzles dans un monde généré par ordinateur. Les graphismes, pour l’époque, etaient a couper le souffle et surpassaient tous les autres jeux. Surtout, les aventures se déroulaient dans des espaces naturels grandioses, au milieu desquels un créateur de genie avait bâti des demeures organiques et magnifiques. L’épisode IV, en particulier, m’avait marque par l’architecture des pods, accroches aux falaises au dessus d’une riviere, et relies entre eux par des ponts suspendus. Ils etaient de toute beaute, dessinant des formes en harmonie avec la nature dans laquelle ils se trouvaient.

Dans les annees 90, il y eut cette emission de Thalassa, sur cette archipel de Scandinavie ou une famille modeste possédait, comme beaucoup dans la region, une petite ile pour s’y rendre le weekend. La sequence durant laquelle trois amis, freres ou cousins se jetaient du ponton pour un plongeon a la fraîche a ete longtemps pour moi l’image de la liberté ultime, sans souci, en harmonie avec soi, l’autre, et la nature.

Enfin, plus récemment, il y a eu le film Captain Fantastic. Bien que le film souleve les limites de la vie coupée du monde au fin fond de la nature, comment ne pas être séduit par la vision de cette famille équilibrée physiquement et mentalement, soudée, vivant au fin fond des bois? Ce film, que j’ai vu plusieurs fois, est peut etre mon film préféré pour la proposition, jusqu’à la caricature, d’une vie en dehors de la course frénétique du monde, plus proche et plus respectueuse de la nature.

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En déménageant a Wellington, et sans le savoir, un premier pas avait ete fait pour approcher ce reve. Bien sur, en 2005, quand nous étions arrives, la reflexion n’était meme pas encore née dans mon esprit. Mais quand meme, cette maison, en haut du quartier de Seatoun, surplombait la baie de Wellington au milieu d’un quartier résidentiel: ca faisait deja rêver. Quelques annees plus tard, nous avons déménagé un peu plus au Nord. La vue etait la meme, mais la vegetation bien plus présente, tout autour de nous. Mon projet mûrissait, je commençais a superposer mes aventures oniriques et notre situation alors qu’une nouvelle page de notre vie a Wellington commençait a s’écrire: je pensais etre arrive. Mais, perfectionniste, il me fallait bien admettre que malgre les apparences, nous vivions encore en ville. Le bruit, surtout, nous le rappelait parfois jusqu’à l’overdose.

Lors d'une soiree au restaurant en amoureux, Seb et moi mirent sur la table cinq projets, plus ou moins complementaires, plus ou moins mutuellement exclusifs. Nous parlions d'un sleepout, d'une voiture electrique, d'un grand voilier, d'un terrain attenant a notre maison, et/ou d'un autre, dans un coin de Nature recule. Certains projets ont vu le jour, d'autres allaient s'effacer naturellement. Ne restaient que le voilier ou la maison loin de la ville.

De fait, depuis un an ou deux, Seb et moi avions commence a regarder les terrains autour de Wellington. Terrain pour une “residence secondaire”, dirons nous dans le langage commun; pour y ecrire quelque chose de beau, loin du bruit sur une feuille de nature vierge, pour etre plus juste. Nous cherchions une dizaine d’hectares de bush, protégés du bruit, des développements, et nous assurant une bonne distance avec les voisins. En Novembre 2018, nous visitâmes notre premiere section, tout en haut de Mangatarere Valley, dans le Wairarapa. il s’agissait d’une quarantaine d’hectares de bush, tout au bout d’un chemin de graviers, adosses a un parc national. Les circonstances ont fait que nous n’avons pas fait de proposition, mais nous avons continue a regarder. Le cercle de nos recherches s’est elargi aux Marlborough Sounds et nous continuions a voir passer des offres. A deux reprises, nous avons entame de vraies démarches pour des terrains avec maison au fin fond du Pelorus Sound, mais elles n’aboutirent pas.

En 2021, a la mi août, une proposition a fait surface. C’est Seb qui l’avait reçue, et il la partagea comme une blague, ou un fantasme, tant celle-ci semblait irréaliste: le terrain faisait 27 hectares, que du bush, et se trouvait sur d’Urville Island. Seb l’avait tout de suite rejete car c’etait, selon lui, trop loin, et un poil cher. Pour ma part, je suis tout de suite tombe amoureux: certes, la logistique du transport allait réclamer d’être créatif, mais cette maison était posée sur la corniche de la Nouvelle-Zelande, a l’extrémité Nord de l’Ile du Sud; aucune maison a la ronde, une demeure modeste, autonome en électricité (elle utilise un groupe hydroélectrique) et en eau. Au delà de notre terrain, quelques milliers d’hectares de bush. Certes le prix allait réclamer quelques ajustements au debut, mais je ne pouvais m’empêcher de rêver. Nous actions de creuser la question.

Peu de temps apres, la Nouvelle-Zelande entrait en confinement, nous empêchant toute visite. Puis nous partîmes pour la France, mais pas sans avoir contacte notre avocat pour le prevenir de la situation. En France, les negotiations se poursuivirent, aussi bien avec l’agent immobilier (nous étions en concurrence avec un autre couple) qu’avec Seb. Celui-ci peinait a se projeter et ressentait les soubresauts des échanges avec la Nouvelle-Zelande comme autant de raison de renoncer. Au final, nous fîmes une offre ferme, a laquelle nous restâmes fidèles.

Le vendredi 17 Septembre, nous étions a Montbrun les Bains, et je me levai un peu febrile: l’autre couple, en avance sur nous, devait soit conclure le deal, soit se retirer. Ce ne fut ni l’un, ni l’autre: un contretemps chez eux joua en notre faveur, et l’agent immobilier nous informa que nous étions devenus les propriétaires de la maison sur cette ile de 10 kms par 35 kms, ou vit une cinquantaine d’habitants. Ma main tremblait un peu quand je passai mon telephone a Seb pour qu’il puisse lire le mail.

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Au moment d’écrire ces lignes, nous n’avons toujours pas visite notre maison a d’Urville Island. Nous devrions y aller lors d’un weekend fin Novembre et devrons alors réconcilier les photos, le reve et la réalité. Mais je suis confiant. Apres Noel, nous irons y passer nos premieres vacances. Certes, ce type de vacances n’est pas pour tout le monde, car c’est bien sur tres éloigné de tout. Mais nous avons deja vécu ca, a trois occasions, lorsque nous sommes alles a Te Hapu, et ca nous convient bien. Ca peut surprendre, mais les enfants aussi adorent! C’est une sorte de retraite, en famille, loin de tout, et elles sont l’occasion de nous souder encore plus, alors que la vie dans le monde “reel” et son rythme nous tiennent parfois éloignes.

D’ici la, il nous faudra trouver un bateau. Malheureusement, la distance a parcourir pour rejoindre d’Urville signifie qu’il va nous falloir un bateau moteur. De plus, un voilier ne nous permettrait pas de remonter le chenal étroit qui semble garder l’entrée de Greville Harbour, ou se trouve la maison. Alors dans un premier temps, le bateau brulera de l’essence, et des que possible, nous l’electrifierons.

La bas, nous allons d’abord profiter. Nager, pêcher, méditer, marcher. Puis, l’appropriation progressant, des projets simples émergeront peut etre: Pourrons nous y faire pousser un verger? Est ce qu’une serre serait pertinente? Et si on montait une yourte ou fabriquait une tiny home pour nos visiteurs? Et pourquoi pas un banc dans cette clairière ou l’on pourrait venir réfléchir et boire le the?

Alors que le monde devient de plus en plus complexe, qu’il fait face a des menaces sérieuses et réelles (qui du terrorisme, du COVID ou du changement climatique), ce havre, loin du bruit et de l’agitation, nous tend les bras. Il est la promesse d’un reve longuement mûri, ou une page au nuances de vert et de bleu attend d’être écrite. J’ai hate d’y poser les premieres lignes.

- Benoit -