Le Cahier Bleu

Découvrir son paradis

Plusieurs mois apres avoir acte l'achat du terrain sur d'Urville Island, nous partons enfin en prendre possession. Decouvrir cet endroit a ete une experience presque mystique, dans un week-end en decalage et tres charge.

Le 20 Novembre 2021 - Tags: blog, durville


Le matin du 19 Novembre 2021, le ciel était bleu sur Nelson. Une petite bise herissait la surface de la mer au dela de la digue qui fermait la marina. Mais dans l’enceinte fermee du port, les bateaux restaient immobiles sous le soleil eclatant, ranges en peigne le long des pontons. Nous avions roule pres de deux heures avant de nous garer derrière le Anchor Bar And Grill restaurant, le long de Vickerman Street ou Graeme devait nous attendre, vers 9 heure. La nuit avait été compliquee, a cheval entre la traversee en ferry et un motel bruyant, mais la fatigue s’evanouit quand je reconnus le bateau de Graeme, pose juste devant nous. C’était celui-là que nous avions faillit acheter avec la maison de d’Urville : un généreux 11 metres, avec deux moteurs de 250 chevaux chacun et une cabine. Sur le bateau, une autre silhouette se deplace: c'est Graham, l'agent immobilier avec qui j'ai echange pendant plusieurs mois.

Nous nous serrons chaleureusement la main, de ces poignees qui disent tout de suite le respect mutuel. Le bateau est charge des quelques cartons que nous avons emmene avec nous, et la discussion glisse comme le bateau sur la surface lisse du petit port. Graeme n’est pas tellement eloigne de la facon dont je l’avais imagine : quand il enleve ses lunettes de soleil, il decouvre un regard bleu percant mais aimable, soutenant un crane chauve sur lequel l’age a commence a poser quelques taches. Il a le sourire large des gens qui approchent la retraite avec serenite. Mais ce sont les mouvements de son corps, un peu desarticules, qui surprennent : il nous explique qu’il est ne avec quelques infirmites dans le dos que son metier de terrasseur a empire ; quelques annees plus tot, il avait du se resoudre a un aller/retour en Allemagne pour operer trois disques et esperer finir sa vie debout ; passionne de peche, mais conscient que son temps sur l’eau était compte, il avait ensuite decide de vendre son petit coin de paradis pour acheter un gros bateau sur lequel il allait vivre. Seb et moi écoutons avec respect, tout en participant a la conversation pour etablir une relation de confiance. Graham, assis a l’avant du bateau, regarde la relation naitre, un petit sourire candide sur le visage. De toute evidence, la journee va etre bonne.

Le bateau fend maintenant la houle a vive allure. Certes, rester dans la cabine permet de discuter dans un calme relatif, mais on ne se refait pas, et j’annonce que je vais prendre l’air pour eviter autant que possible de tomber malade. Dehors, alors que nous filons a plus de 20 nœuds, les embruns volent avant de retomber dans le sillage lointain des moteurs rugissants. Le versant Ouest du Pelorus deroule ses falaises beiges et ses patures verdoyantes surplombant les eaux azurée. Au loin, le bleu de d’Urville Island est a peine plus fonce que celui de la mer. Je n’y ai jamais pose un pied, alors je la fixe intensement, car quelque part en son sein se trouve un ecrin turquoise. Dans quelques heures, je passerai l’horizon; dans quelques heures, je percerai la surface ondulante de mon reve pour y pénétrer.

Graeme a enclenche l’autopilote et m’a rejoint a l’arriere du bateau. Malgre le grondement des moteurs, nous parvenons a discuter un peu. Il me parle des habitants de l’ile. Nous les verrons si nous le voulons, car les espaces entre les maisons sont vastes. Mais il cite l’autre habitant de Greville Harbour, qui habite plus au Nord : « des gens un peu rugueux, mais qui t’aideront si tu as le moindre souci et si tu ne t’arretes pas a l’apparence » (il me montre ses bras pour parler des tatouages). « Tu sais, je n’ai pas d’a-priori. Pour moi, c’est : si tu me respectes, je te respecte » dis-je dans un message lui etant tout aussi adresse. Conquit, il sourit et ajoute : « voila, exactement ».

Ca fait déjà un bon moment que l’on peut voir la French Pass, mais déjà elle se referme a mesure que nous approchons de d’Urville Island. Nous avons laisse Okiwi Bay derriere nous, et j’ai été soulage de la trouver bien au Nord : ce voyage depuis Nelson s’eternise et avoir notre bateau amarre a Okiwi Bay permettra des traversees bien plus courtes. D’Urville Island a ote son bleu atmospherique et s’est paree de verts plus chatoyants les uns que les autres. Comme sur les photos satellites maintes fois explorees, la pointe Sud a été defrichee pour faire place a une ferme de moutons alors que les sommets culminant a 800 metres sont couverts de forets. Graeme est rentre dans la cabine pour corriger de quelques degrés la course du bateau et contourner l’ile vers l’Ouest. Je reste dehors et bois l’air marin a grandes gorgees pour maintenir mes niveaux.

Nous voguons maintenant a une centaine de metres de la cote. Les patures perchees de d’Urville Island s’arretent en haut de falaises abruptes et torturees. Les grottes qui afleurent a la surface de l’eau rugissent alors que la houle, pourtant faible, s’ecrase sur les rochers. On devine un lieu Dantesque par grand vent. Mais aujourd’hui, le soleil continue d’inonder le paysage, la mer, et bientôt, la porte d’entree de Greville Harbour. Un frisson remonte dans mon dos. Je cherche du regard la barre de sable qui ferme l’entree du port et apercois deux fleches qui marquent le chenal : il s’agit d’un passage d’une dizaine de metres de large par lequel la maree remplit et vide l’eau de Greville Harbour. C’est aussi, par extension, le seul acces a notre maison. La houle se calme, je rentre dans la cabine, et Graeme nous explique comment negocier ce passage. Derriere, plus d’exploitation agricole, mais des forets sauvages, primitives, des plages et sommets verdoyants, aussi loin que porte le regard.

Un cormoran étire ses ailes et pose, face au soleil. Greville Harbour se sépare en plusieurs bras. L’un d’eux s’appelle Punt Arm. C’est lui qui abrite notre nouveau nid, ce refuge, cette retraite dans la Nature, loin de toute civilisation. C’est lui dont j’ai reve depuis que je suis adolescent et dont j’ai parle, il y a trois ans, dans cette fiction courte que j’avais écrite. Et c’est lui qui s’ouvre maintenant devant nous, majestueux. Accroche a la colline, comme un petit trait dans la forêt, une maison se détache. J’écarquille les yeux et j’ai le souffle court. Je concretise un reve et je sais que cet instant ne reviendra pas. Les flancs de Punt Arm défilent maintenant doucement de part et d’autres du bateau alors que le bateau glisse doucement vers le ponton, seule construction humaine aux alentours. Les troncs noirs des manukas strient les abords des plages et lancent leurs canopes brillantes vers le ciel. Tout est d’une beaute a couper le souffle.

Le bateau apponte. Le vent souffle un peu, et les arbres exécutent leur danse de bienvenue. Deja, Graeme est parti avec Seb chercher le quad. Alors que Graham et moi finissons de décharger le bateau, je filme mes premiers pas sur d’Urville. Je ne sais pas si ma tete tourne des deux heures passees a naviguer ou des parfums sucres émanant de la forêt. Il est presque midi quand Graeme arrive avec le quad: c’est un petit vehicule aux 4 roues motrices, équipe d’une « barge » pour y charger des bagages et de trois places a l’avant. De fait, nous n’avons pas grand chose, et nous avons vite fait de nous mettre en route. Graham, lui, souhaite remonter a pied. Le chemin est bien carène et sinue en montant la colline. Apres quelques virages, la maison apparaît.

Graeme ouvre la porte, franchis le pas, et je le suis. Alors qu’il remonte les stores un a un pour laisser rentrer la lumiere, il est clair que la qualite de construction est bien meilleure que ce que nous nous étions représenté: les meubles sont neufs, la moquette épaisse. Toutes les baies vitrées qui entourent la maison sont en double vitrage, le sol aussi est isole et l’air est sec. Je m’appuie sur un montant d’une baie et m’imprègne de la vue. Tout est bleu, tout est vert. Si des projets avaient traverse mon esprit pour cet endroit avant que nous le découvrions, ils ont maintenant disparu, car tout est deja a sa place. Le silence s’installe sans gene avec Graeme. Nous laissons l’instant nous traverser au rythme de lentes et profondes respirations. Seb aussi n’a pas de mot.

Graham a remonte le sentier et me tire de ma reverie. Nous sortons les provisions que chacun a amené pour le repas et échangeons boissons et plaisanteries. Le calme de la piece et la vue commandent l’apaisement et c’est sereins et détendus que nous passons le repas. Commence ensuite la visite a proprement parler. L’intérieur d’abord, impeccable et beaucoup plus équipé qu’envisage. Toute la vaisselle, les meubles, les rangements restent! On y trouve 2 frigos, un congélateur, une machine a laver et meme … un lave-vaisselle! Les couloirs cachent des placards immenses, et la chambre principale a meme un dressing. Graeme nous confie n’avoir jamais réussi a se convaincre de faire un trou dans les murs pour accrocher un cadre! En effet, la maison est impeccable. Il explique avoir achete les 27 hectares il y a 12 ans. A l’époque, ce n’était que bush. Puis, patiemment, il a construit cette maison avec des amis professionnels. Son oeuvre, qui gagne en propreté ce qu’elle perd en âme, a pris 4 ans a terminer: il n’y a aucune aspérité, pas de poussière, les lits sont faits, et les fenêtres nettoyées. Et dire que nous sommes au fin fond des Marlbourough Sounds.

Dehors, il nous montre le spa, le système de gaz, les vannes d’eau, les outils dans le garage et la pelleteuse, le container a bois de chauffage et la tronçonneuse, les casiers à pêche et le local électrique, les cuves a eau usées et celle pour l’eau potable. Tout a ete bien pense, intègre, et fait de maniere durable, pour que ca tienne. La quantité d’information qu’il nous transmet donne le vertige, et c’est un défi que de tout noter. Seb se résout a prendre des photos des antennes et de les annoter avec le doigt.

Plus tard, nous convenons de prendre le quad pour rejoindre la plage et voir le bloc hydro-électrique. Je propose de conduire pour me familiariser avec le vehicule. Le baptême sera un baptême de feu: le chemin pour descendre, lui aussi carène, n’est pas avare de virages serres et en pente! Mais nous parvenons a la plage, maintenant complètement découverte par la marée. Graeme nous montre des moules, des palourdes … et des huîtres. Puis il nous montre les limites du terrain, et c’est seulement maintenant que je commence a comprendre sa taille, qui me submerge: découvrir ses recoins prendra des semaines! Nous quittons la plage pour rejoindre un sous bois ou se trouve la génératrice. Il s’agit d’un bloc en metal de un metre d’arête auquel est connecte un gros tuyau bleu. Un cable noir remonte vers la colline. Graeme ouvre une vanne et immédiatement, on entend l’eau expulsée en dessous du bloc ainsi que la turbine qui se met en route. La puissance du jet et le bruit de la turbine permettent tout de suite de comprendre comment la totalité des appareils peuvent etre alimentes. Et encore, la vanne n’est ouverte qu’aux deux tiers!

Nous discutons tranquillement, et Graeme continue d’abonder en informations sur le fonctionnement du site. Il explique alors que l’eau est puisée de la riviere, bien en amont pour plus de pression. Remonter a la source prendra du temps, mais il poursuit: le tuyau remonte le bush, puis longe la riviere avant d’arriver a un bassin ou se trouve l’entrée d’eau. Dans ce bassin se jette une cascade, et meme si l’eau peut etre froide, Graeme dit qu’on peut s’y baigner!!! Y’a t’il quelque chose dans cet endroit que je n’ai reve?

Nous remontons jusqu’à la maison. Graham a commence a rassembler les affaires. Graeme semble heureux que cet endroit nous revienne. Quatre heures se sont écoulées et personne ne les a vues passer. Je m’assois sur le rebord du deck, face a la vue. L’éclat des couleurs brouillent la limite entre la réalité et le reve. L’air et ses senteurs, sucrées et acres du bush enivrent et apaisent. Le vent, la mer, les oiseaux forment un orchestre qui écrase et emporte. C’est un concert de silence! Dans ma tete, je joue quelques notes de Stoney Creek:

« Baby, the wind is blowing,

Rest you weary head here on my knees.

There is no way we’re getting on the ocean,

So fuck everything else and let just be.

This is home.»

Home. C’est bien ce que je ressens a cet instant: je suis arrive. Ici, poses sur la corniche du monde, rien ne pourra nous atteindre. Ici, je ne suis pas ne. Ce n’est pas la ou mon coeur d’enfant se retrouve, choyé des racines familières, mais c’est bien chez moi, la ou mon coeur d’homme est a sa place, serein et apaise, dans un endroit pur et equilibre. Graeme s’avance, hésite l’espace d’une seconde puis me tend les cles. Je serre le trousseau et me lève pour aller fermer.

*

Le retour est un peu mouvemente, car la houle s’est levee. Je reste a l’arrière, peu malmené mais dans le bruit des moteurs. Le paysage defile a nouveau, jusqu’à rejoindre Nelson, vers 18h. Sonnes mais repus, nous saluons Graeme et Graham, persuades que nos routes se croiseront encore. Une petite visite chez nos amis Ken et Rebecca, durant laquelle nous sommes juste capables de balbutier ce que nous avons vécu et nous rejoignons notre motel.

Dimanche, il pleut. Ce matin, nous devons voir deux bateaux. Le premier semble tres bien, mais il est dans un champ, et seule Karen, l’épouse du propriétaire nous accueille. Elle fait de son mieux pour nous expliquer le bateau, mais ne peut meme pas allumer le moteur. Apres avoir fait un gros pari en achetant la maison a l’aveugle, nous avons du mal a en faire autant pour le bateau. Nous partons voir le second, dont on voit immediatement qu’il sera trop petit pour la mer que nous avons traverse hier. La rencontre est intructive cela etant mais le bateau tres vite écarté a la pause du midi, au restaurant river kitchen. Je rappelle notre premier bateau, et Karen nous apprend que son mari, Lloyd sera rentre dans 30 minutes, le temps pour nous de retourner dans le champ ou se trouve le Southern Sport. Pour tester le moteur et nous assurer de son bon fonctionnement, nous devons tracter le bateau jusqu’à la maison de Lloyd: c’est une bonne leçon, mais un peu stressante, surtout par temps de pluie! Mais les tests sont concluants et nous faisons affaire avec Lloyd. Qui plus est, ils ont une maison a Okiwi Bay, ou nous voulons garer notre bateau, et il accepte de l’y amener pour nous! C’est inespéré et va nous permettre de rentrer sereinement a Picton. Ca tombe bien: des manifestations bloquent Nelson, et au lieu de le traverser a nouveau, le GPS nous suggère de passer par … Saint Arnaud! Nous prenons congés de Karen et Lloyd avec un accord « de gentleman » et nous mettons en route.

Le weekend se termine en montant dans le ferry a Picton, vers 19h. Épuises, satures d’adrénaline et de souvenirs, nous rejoignons notre cabine.

- Benoit -