Le Mensuel Bleu

De gros projets et un sejour glacial

Retour sur ses deux semaines passées à d'Urville. Deux semaines durant lesquelles nous avons mis en oeuvre un projet imagine de longue date, a l’épreuve de l’isolement de la vie sur une ile.

Le 13 Juillet 2023 - Tags: blog, dUrville


Retourner à d’Urville continue de nous offrir de jolies surprises, de nouvelles « premières fois ». En ce mois de juillet 2023, nous etions pour la premiere fois au pic de l’hiver, avec des journées tres courtes. Nous avions quitte Wellington en pleine nuit pour pouvoir arriver à Punt Arm à la lumière du jour. Et quel accueil nous attendait !! Avant le dernier virage pour entrer dans Greville, un joli pod de dauphins glissa doucement le long de notre bateau! Mais il y eut encore une surprise : en approchant le ponton, deux silhouettes se promenaient devant la maison. Elles nous aperçurent de loin, surement avant nous. Le temps d’attraper les haussières, et les deux biches avaient disparu !

La traversée fut aussi une première avec notre nouveau moteur. Lors de notre dernier voyage, au mois d’avril, le Yamaha deux temps m’avait inquiété une ou deux fois de trop. Après avoir déposé le bateau au terme de notre séjour, j’avais organisé le remplacement dudit moteur de 20 ans avec un Honda 150 chevaux, quatre temps. L’expérience sur l’eau fut radicalement différente. Il etait beaucoup moins bruyant, moins odorant, dégageant un fort sentiment de fiabilité, plus réactif aux commandes et enfin, consommant près de moitié moins d’essence ! Bref, naviguer allait être beaucoup plus agréable et rassurant à l’avenir.

Sur place, il faisait vraiment froid, mais suffisamment beau. Peu avait changé, si ce n’était ce petit glissement de terrain juste devant l’abri électrique. Cosmo, en revanche, n’était pas au top de sa forme en arrivant a la maison, et il s’écroula sur le canapé à peine arrivé dans le salon. Adan, Seb et moi mangerent le repas face à la Nature, repus d’être parvenus chez nous, pendant que Cosmo s’endormit pour un sommeil réparateur.

Nous sortimes les affaires du bateau, je lancai la maison, et alluma un feu pour rechauffer les corps. Nous étions chez nous, et les poids s’envolerent.

Notre expérience fut une fois de plus riche en souvenirs, pour certains liés à la saison. La cheminée tournant quasiment en permanence, nous avons commence à consommer le bois coupé nous-mêmes l’année dernière.

De plus, du fait de l’hiver, le soleil se couchait directement dans l’alignement de la baie vitrée donnant sur Punt Arm. L’ensoleillement etait le meme qu’en été, car il n’y avait plus la colline dans la trajectoire du soleil, mais en plus, les couleurs des fins de journée etaient incroyables !

Ma clôture pour le verger, par contre, avait subi les assauts de la faune locale, et n’avait pas résisté deux mois ! Les fils, que je croyais solides et qui reliaient les arbres entre eux, avaient été sectionnés, enfoncés, et laissés pour morts sur le sol, comme un message moqueur.

Je mis le temps libre à profit pour faire avancer des petits projets dehors, mais bien couvert. Il y avait ce panneau portant le nom de To tatou turangawaewae : j’étais venu avec des lettres pochoirs, mais le résultat ne fut définitivement pas a la hauteur, et j’allais devoir me tourner vers un professionnel.

J’assemblai un porte-manteau pour dehors afin d’y suspendre les parkas mouillés : Seb avait trouvé une jolie planche de bois bien usée pour servir de support aux crochets du porte-manteau, mais le plus dur fut de trouver le courage pour le fixer au mur exterieur. En quittant d’Urville, la pièce etait prête à être posée, mais toujours dans le garage !

De loin le plus gros projet de notre séjour fut de faire enfin avancer notre chambre. Depuis des années, je m’étais fait une idée assez précise de ce à quoi ma chambre idéale devait ressembler. Oh, ça n’était pas très original : je voulais une forme unique, avec le lit intégré à la chambre, appuyé sur des matériaux nobles, chaleureux, dans un volume volontairement restreint. De l’ensemble devait se dégager une ambiance accueillante, douce, cosy, tout en nous permettant de profiter au maximum des fenêtres tournées vers la Nature. J’avais donc commencé à dessiner les plans à Wellington, sur la base de quelques mesures, avec comme objectif d’en déduire une liste de matériaux qui pourraient être acheminés sur place.

Les matériaux avaient ete commandes et, a d’Urville, j’organisai une virée a Blenheim pour tout recuperer. Par un matin noir et sans nuage, je quittai le ponton seul, pour rejoindre Chris. Seule la lune me permis de ne pas me perdre dans les regards sombres des collines avoisinantes. Nous primes ensuite son pickup-truck et une remorque pour traverser d’Urville island, prendre la barge et remonter toute l’épine dorsale du Pelorus, jusqu’à Blenheim. L’aller et retour nous prit la journée complète, et je rentrai, de nuit, éreinté, à la maison. Le lendemain, nous transférions le bois, le matelas, et du vrai grillage pour le verger de chez Chris à chez nous. Pendant que les enfants restaient avec Jane, nous fimes quelques allers et retours, aidés par la marée haute, des conditions de vent clémentes, et la remorque, fraichement rénovée. Le plus dur fut de soulever les rouleaux de grillage, à 60 kg chacun environ.

Une fois tous les matériaux prêts a être utilisés, nous allions pouvoir tester mes hypothèses, et vérifier si ma vision avait été la bonne. L’austérité stérile de notre chambre nous offrait au moins le confort de la page blanche.

Pendant plusieurs jours, le salon fut notre chambre car c’est la que se trouvait le nouveau matelas. Voir la voute stellaire et fermer les yeux en écoutant le feu crépiter! Le jour, je huilais les planches de macrocarpa, mais je commis l’erreur, deux fois, de laisser trainer mes pinceaux, qui disparurent, victimes de la curiosité des wékas. Seul l’un des pinceaux fut retrouvé quelques jours plus tard par Cosmo lors d’une partie de cache-cache !

Le weekend suivant, je m’attelai à l’assemblage de la structure avec Seb. Il s’agissait de créer un sol surélevé de 40 centimètres, au centre duquel se trouvait un sommier fabriqué sur mesure. Autour, il y aurait un plancher, des marches et un banc/étagère. Le dimanche soir, j’étais très fier : le projet était presque fini, les matériaux avaient été correctement quantifiés et rentraient dans les mesures de la chambre, comme prévu sur le papier ! Surtout, le résultat était splendide, délivrant ce sentiment chaud d’une chambre cocon. J’aimais déjà venir a d’Urville, et cette attraction serait encore plus forte dorénavant !

Au travers de la difficulté de faire acheminer des médicaments pour Cosmo, puis quelques jours plus tard, les matériaux pour la chambre, je ressentis l’isolement aigu de notre coin de paradis. Et au-delà des défis logistiques et de sécurité, aussi, l’absence de mes proches. Nous vivions ces aventures depuis un an et demi maintenant, dans un univers radicalement différent de celui dans lequel nos familles, nos amis nous connaissaient. Cette aventure, aussi difficile qu’elle soit, je voulais la partager, la vivre avec les gens qui comptent. Mais qui avait réussi, jusqu’à maintenant, à nous rejoindre ? Mes parents, Lucas, et c’était tout.

Au moins, construire cette chambre, acheminer les matériaux de Blenheim, avait permis d’établir une nouvelle voie pour venir nous voir. Jusqu’à maintenant, les aspirants visiteurs pouvaient compter sur l’avion, ou dans une moindre mesure, le bateau depuis Okiwi Bay. Cette dernière option ne m’avait jamais vraiment semblée réaliste à cause de notre ancien moteur. Mais le nouveau Honda ne résolvait en rien la question de la météo dont cette solution d’acheminement était complètement dépendante. La relation établie avec Jane et Chris avait changé la donne : maintenant, on allait pouvoir nous rejoindre via French Pass, en voiture, voire même en y laissant le vehicule en attendant d’être récupéré par Jane ou Chris cote d’Urville moyennant un cout modeste. Certes, la route de French Pass, aussi époustouflante qu’elle soit, n’est pas gratuite physiquement, mais cette solution avait le mérite d’être mois chère financièrement, et moins dépendante du temps.

Entre tout ça, nous avions aussi bien sûr profite de la vie a quatre. Les enfants continuaient de profiter de chaque minute passée sur l’ile et les voir s’apaiser, se retrouver, et s’aimer est un doux spectacle valable a lui seul. Le pain continuait d’habiller nos matins de ses odeurs chaudes, Adan et Seb etaient retournés pêcher avec succès, et quelques morceaux succulents de biches, offerts par Jane, avaient régalé nos papilles. Malgré une eau à 14 degrés, je m’etais baigné deux fois, mais pas sans vérifier avant que de la fumée sortait de la cheminée. Nous etions allés rendre visite à notre ami TreeVie et avions encore découvert, malgré nos multiples excusions dans le bush, de nouveaux endroits, époustouflants de beaute.

Aussi, la famille etait unanime là-dessus: d’Urville ne nous lasse pas, et il difficile de croire que ça puisse être le cas un jour. Mais il avait bien fallu rentrer quand même et nous avions saisi une fenêtre météo pas trop défavorable, mais avec une houle de 1.50 mètre. Malgré elle, malgré la difficulté du trajet, malgré l’isolement, je voulais déjà retourner a To tatou turangawaewae.

- Benoit -