Benoit - 10 Novembre 2009
Mon Ami est situe dans une rue du centre de Wellington appellee Bond Street. C'est une petite rue qui connecte deux arteres de la ville, et dont les flux de personnes et la decoration, contrairement a ses voisines, n'ont pas ete ameliores au fil des annees. C'est pour proposer sa renovation que je me suis presente aujourd'hui devant les 20 membres du conseil de la ville.
Mardi apres-midi.
Ce matin, c'est un processus long de deux mois qui a trouve sa conclusion, quand je me suis presente devant le conseil de la ville pour parler de "ma" rue. En ce moment, et depuis plus d'un an, une discussion passionne et divise les Wellingtonians sur le sort a reserver a une rue aujourd'hui pietonne, le Manners Mall. La ville veut la transformer en un passage pour les bus, et, en echange, convertir une rue adjacente, Cuba Street, en espace pieton. Le debat cristallise la population en deux groupes: ceux qui soutiennent, ceux qui hurlent au scandale. L'argument premier de la ville est que le nouveau passage pour les bus permettrait d'augmenter la ponctualite des services de bus, la rue en question etant pour le moins centrale.
Bond Street etant situee a quelques dizaine de metres de Manners Mall, nous (c'est a dire Mon Ami et quelques business alentours) pensions qu'elle pourrait faire partie des travaux de renovation, si travaux il y avait, et completer la zone pietonne proposee en remplacement de la rue sacrifiee.
Deux mois, donc, ont ete necessaires pour rassembler les gens, rassembler les idees, et en faire une synthese claire et audible. J'avais en partie pris l'initiative de cette discussion, et naturellement, j'avais ete designe pour la porter devant le conseil. Celui ci, dans un elan democratique tout a fait kiwi, avait en effet organise plusieurs journees d'auditions pour ecouter ceux et celles qui souhaitaient s'exprimer sur ce projet de renovation d'une partie du centre ville.
J'avais donc fait des croquis, sur la base de photos, pour presenter ce a quoi la rue pourrait ressembler, si elle etait renovee. J'avais mis tout ca dans un presentation pour grand ecran, et redige un petit papier reprenant l'essentiel de mon argumentaire afin de le laisser au conseil et a Madame le Maire. J'avais meme cuisine des biscuits: je devais passer ce matin a 11h30, et les biscuits seraient surement apprecies a cette heure par les gens en reunion depuis tot le matin. Dale, de Mojo cafe, notre voisin, devait passer juste avant moi et amener les cafes. Nos presentations devaient se completer, la sienne introduisant la mienne.
A 4 reprises avant ce matin, nous nous etions rencontres pour repeter, affiner, ajuster nos discours. Chacun de nous allait avoir 10 minutes pour parler, qui plus est devant un chorum de gens seniors: ni lui ni moi ne voulions baffouiller le moment venu.
Connaitre mon sujet a fond, maitriser le deroulement de mon discours ... etaient, je le croyais, indispensables pour ne pas stresser et risquer un blocage pendant mon allocution.
Ainsi, quand je me suis rendu ce matin, a 11h, a la mairie, j'etais un peu nerveux, mais bien moins que ce a quoi je m'attendais. Je suis rentre doucement dans la salle pendant qu'un autre intervenant faisait sa presentation. A droite de l'entree, une immense table ovale, entouree d'une bonne vingtaine de "councillors", de Madame le Maire, et du maitre de seance. Autour, au second rang, la presse et observateurs, et au fond le public, assistant aux auditions. Enfin, a l'extremite de l'interminable table, l'intervenant, assis sur un siege que j'allais occuper dans 25 minutes.
Je m'assois avec le public, et utilise le temps d'attente pour prendre mes marques, regarder les gens, la salle, ecouter l'ambiance, et surtout, respirer. Pendant que le temps passe, doucement, je sens mon pouls augmenter dangeureusement, frapper fort dans la poitrine. Je souffle et arrive a contrer le "rush" d'adrenaline. Dale me rejoint, un peu en retard sur l'heure du rendez vous. Lui aussi, est tres nerveux.
11h15, il est appele a parler. On distribue les cafes de Mojo, et les biscuits de Mon Ami. Ca fait vraiment bonne impression et detend tout le monde! Je l'aide, ce qui me donne l'occasion de faire le tour de la table. Moi aussi, je me detends.
Il demarre et je peux deviner au rythme de ses paroles qu'il est tendu. Il parle vite, presente sa femme, qui l'a accompagne, et son fils. Son rytme ralentit. Ou plutot, si ses phrases sont enchainees avec rapidite a cause du peu de temps imparti, ses mots sont moins avales. On sent qu'il prend ses aises. Sa demonstration est brillante, vivante, personnelle. Il parle, comme prevu, de Wellington, de son atmosphere, et emmene le public dans une promenade dans le centre ville. Il utilise les dix minutes dont il dispose, et in fine, me passe la main, tout en douceur. Depuis qu'il a commence a parler, je suis plutot calme, mais tres concentre. Je n'ai plus peur, je sens que ca va bien se passer. Il quitte son siege, je suis invite a m'assoir.
Je commence par me presenter, et veille a parler doucement, sans precipitation. Ainsi, je peux reprendre ma respiration, rester calme. Surtout, pas d'empressement. Je commence a derouler mon argumentaire. Je le connais tellement bien que je regarde a peine mes notes, et m'adresse successivement a chacun des conseillers autour de la table. Je suis tellement concentre que je ne remarque pas encore que l'affaire est deja pliee, le stress a ete vaincu.
Au terme du temps imparti, j'ai parcouru mes croquis avec aisance, les expliquant en details, j'ai deroule mon argumentaire, j'ai fait passe mon message. La concentration reste tres intense: le maitre de seance m'annonce qu'on va me poser 5 questions (les precedents en avaient eu 2 ou 3), dont une par Madame le Maire. J'essaye d'avoir des reponses construites, mais certains mots m'echappent (puisque c'est en anglais), et je suis aussi dans une enceinte tres politique: je ne veux braquer personne, je ne suis pas la pour ca, juste proposer une idee.
Je reponds a la derniere question, le maitre de seance me remercie. Les conseillers assis a cote de moi me disent que c'etait tres bien. Je me leve, souriant. Je sors de la salle avec Dale, je respire! Le conseiller du developpement urbain nous rattrape et veut poursuivre la discussion. Rendez vous est pris.
Inutile de dire la fierte ressentie une fois sur la route du retour, au boulot. Fier du discours, de sa structure et de la facon dont je l'ai deroule. Fier d'avoir contribue, un tout petit peu, a ma ville d'accueil. Fier enfin d'avoir vaincu le stress qui jusqu'a maintenant m'avait fait echouer a ce genre d'exercise.
Un peu plus tard, renforcant le plaisir d'avoir pris part aux cours des choses, Helene, une des "councillors" qui nous avait aides, nous envoie un mail: les retours sont tres positifs, et des discussions pour evaluer la faisabilite de notre point de vue ont deja commence.
Une fois encore, Mon Ami m'a donne l'opportunite de voir quelque chose d'autre, de respirer un air different, de vivre une experience qu'il m'aurait ete impossible de vivre autrement. Le cafe continue donc de m'enrichir intellectuellement, a defaut de financierement!
Benoit, le 10 Novembre 2009