Benoit - 14 Juin 2006
Récit d'un week-end exceptionnel dans un cottage situé dans les Marlbourough Sounds, sans accès route, et que nous avons rejoint en ... hydravion. Avec Daphnée.
Vendredi soir.
Depuis que nous sommes arrivés en Janvier, Seb et moi sommes beaucoup restés à Wellington. La faute à l’installation en NZ, aux formalités en France … Le coût de notre déménagement aussi a joué, et il a fallu faire attention, économiser pour recouvrir les dépenses. Mais ce week-end est notre week-end, et nous avons prévu de partir dans les Marlborough Sounds, au nord de l’Ile du Sud. Une terre émiettée sur la mer. Des milliers de criques, de baies, baignées d’une eau turquoise, et personne.
Pour ce week-end, je voulais quelque chose d’un peu « remote », loin de la civilisation : bien que Wellington soit déjà bien loin d’être une ville stressante, je voulais renouveler l’expérience de décembre où nous avions fait du kayak dans le Doubtful Sound, au sud de l’Ile du Sud cette fois ci. En parcourant des sites Internet, j’ai trouvé ce cottage, au milieu de la Tui Reserve, sur la Péninsule Pelorus. De là, nous surplomberons une partie des Marlborough. On ne pourra pas s’y rendre en voiture, car il n’y a pas de route qui aille jusqu’au cottage.
Malgré tout, il faut bien trouver une solution pour y aller. Les deux options sont par la mer … ou par les airs ! Ellen, la propriétaire du cottage, a réussi à nous trouver un air taxi, qui pourra nous emmener de Wellington à une plage en contrebas du cottage. La solution est très flexible, très pratique, bien plus que par bateau, et pas beaucoup plus chère, au bout du compte (en ferry, il aurait fallu rajouter bus et water taxi, ce qui serait revenu au même, mais beaucoup plus long).
Vendredi, en fin d’après midi, Seb et moi sommes donc à Porirua, à 15 kms au nord de Wellington. Je gare la voiture au port où nous attendent l’hydravion et son pilote, Al. Nous chargeons les bagages … et Daphné !! L’avion doit bien avoir 15 ans. « Du vieux mais du fiable », me confie Al ! L’intérieur est étroit, old fashion, et peut accueillir 6 passagers, serrés.
A 16h30, les casques sont mis, le moteur est allumé. L’avion se met dans un axe, face au vent, et accélère, soulevant beaucoup d’eau … Brusquement, l’eau cesse d’être éclaboussée sur les côtés, on décolle, on ne flotte plus sur l’eau, mais sur l’air, on s’envole. C’est extraordinaire, rien à voir avec des avions de ligne : ici, on touche la sensation de voler.
Nous prenons tout doucement de l’altitude et Al met le cap vers l’ouest, vers les Marlborough. La traversée dure 25 minutes, le temps est magnifique, aucun problème, nous ne sommes même pas un peu secoués. Al et moi discutons de l’avion et de son mode de pilotage, tout en profitant du point de vue unique. Déjà, les Marlborough apparaissent et Al vise la baie Waitata. L’avion descend tout doucement. Nous voyons l’eau et les paysages défiler de plus en plus vite, petites collines abruptes émergeant de l’eau. Elles doivent faire 500 mètres de large, mais s’enfilent sur des dizaines de kilomètres. L’avion se pose et s’approche du ponton où Brian, le mari d’Ellen nous attend. Vite, nous vidons l’avion, car Al doit repartir sur Porirua avant la tombée de la nuit.
Brian est adorable. Il est d’origine hollandaise, et rit tout le temps, est très prévenant, très gentil, très à l’aise. Il nous explique des trucs de dingues : lui et sa femme sont venus habiter ici il y a 12 ans. Ils ont acheté ce bout de terre au bout du monde et y ont d’abord vécu en tentes, pendant 4 mois. Le deuxième jour après leur arrivée, ils constatent qu’il n’y a pas d’eau douce à proximité. Finalement, ils trouvent une source, construisent une maison, et décident de vivre dans ce paradis terrestre pour toujours.
Sur leur terrain, ils ont aussi réintroduit le Weka, un oiseau natif de Nouvelle Zélande, qui avait disparu. Sur la réserve, ils en ont maintenant environ 200 qui vivent en liberté. Ce sont des oiseaux qui ne volent pas, et se comportent comme les chats avec l’homme. Ainsi, certains viennent carrément renifler mes chaussures alors que je marche ! Brian et Ellen ont aussi réintroduit le Tui, un oiseau noir au plastron blanc, qui vole, lui. Brian nous explique tout ça pendant que son engin à 8 roues remonte la colline et nous emmène jusqu’au cottage, à 50 mètres de leur maison.
Ellen nous y attend. Elle est au moins aussi sympa que Brian. Dans le cottage, dans lequel elle nous fait entrer, il fait bon, la cheminée est allumée, ainsi que 2 ou 3 lampes. Elle a aussi laissé un morceau de gâteau aux pommes. La petite stéréo est allumée et joue Norah Jones. Nous découvrons la terrasse, avant que le jour ne tombe complètement : elle surplombe le bush, puis les Sounds, puis la mer de Tasman. Une vue unique qui verra se lever le soleil demain matin, exactement dans cet axe. A part Brian, Ellen et leurs enfants, nous sommes seuls dans un désert magnifique, une oasis. Pour moi, c’est le bonheur, c’est mieux que ce que j’avais espéré, et c’est la promesse d’un week-end parfait.
Samedi matin.
Le soleil s’est levé, comme promis, face à la terrasse. Le ciel est impeccable, il n’y a pas un nuage. Le déjeuner est rapidement expédié et nous préparons un sac. Vers 9h30, nous partons à la découverte des alentours. Peu importe la direction où porte notre regard, on voit ces fjords, creusés par l’eau (d’où l’appellation « sounds », et non pas « fjords », creusés par les glaciers), se succéder. Ici, toutefois, c’est la mer qui s’impose, découpant des morceaux de terre. Ceux-ci la surplombent d’une centaine de mètres, mais perdent vite leur avantage en replongeant dans des eaux cristallines.
Nous croisons quelques couples de Wekas, entendons des Tui sans les voir, admirons une nuée de Silver Eyes (petits oiseaux de la taille d’un moineau, aux yeux cerclés de blanc, et au corps doré, entre le vert et le jaune). Nous redescendons vers la plage où nous avons amerri hier soir. Le soleil illumine tous les paysages. C’est magnifique.
Vingt minutes plus tard, nous surplombons la petite crique, l’eau est transparente jusqu’à 10 mètres de fond. Brian nous a indiqué l’endroit où nous trouverons des kayaks. Ils sont assez rustiques et ne nous permettrons pas de sortir de la baie, mais de profiter de la mer, calme aujourd’hui. Et dire que nous sommes un 10 juin !
Nous pagayons 3 heures sur les kayaks, longeant les côtes, faisant des pauses sur des plages désertes, sans accès. Je tente de me baigner, mais l’eau est vraiment trop froide, même au soleil. Quelques Tuis nous survolent alors que nous pagayons dans des champs de moules vertes.
Le vent se lève, la mer s’agite un peu, ce qui rend la navigation assez hasardeuse sur des kayaks de ce type. Vers 13h, de retour à notre plage de départ, nous mangeons au soleil. J’avais même pris le nécessaire pour nous faire un thé !
Rentrés au cottage, le vent s’est levé sérieusement, bien que le ciel soit toujours dégagé. Dans la maison, le bruit qu’il provoque est vraiment impressionnant et rend les abords de la cheminée encore plus accueillants.
J’ai relancé le CD de Norah Jones. La lampe à huile illumine délicatement la pièce. Une bûche se consume tranquillement, Seb et Daphné profitent de sa douce chaleur.
Dimanche matin.
Ce matin, le ciel est plus couvert. Des nuages couvrent la mer, et c’est une des conditions pour un lever de soleil exceptionnel. Je ne suis pas déçu, et, pendant que Seb prépare le café, je profite du spectacle splendide des nuages qui rougissent avant de très vite jaunir jusqu’au moment où, enfin, le roi arrive.
Le vent s’est donc invité aujourd’hui, et plus la journée passera, plus il sera fort, traînant les nuages avec lui. Tôt dans la matinée, nous partons nous promener. Pas question aujourd’hui de faire du kayak, la mer est trop agitée. Notre première promenade nous emmène à l’extrémité de la réserve, à l’entrée de la baie Waitata. Nous traversons le bush, et c’est arrivés au promontoire que la vue sur tout le Pelorus s’offre à nous.
Cette petite promenade terminée, sous un vent forcissant, nous partons vers la plage, en descendant le versant Est de notre colline. Dans notre descente, nous traversons des groupes d’arbres aux troncs noirs, vidés de leur sève par des insectes, et dont les rejets forment des filaments mielleux sur l’écorce. Ces cheveux, sucrés, sont appréciés par les oiseaux locaux, qui se déplacent en nuées de troncs en troncs. Ainsi, nous progressons au milieu d’un concert de piaillements divers et inconnus, souvent insolites. Nous cassons la croûte à mi chemin, cernés par les chants d’oiseaux.
Arrivés sur la plage, le ciel s’est bien chargé, le vent s’exprime. C’est beau d’être au milieu d’une nature qui n’est pas endormie, comme assommée par un soleil de plomb. A cet instant, les conditions ne sont pas le « beau fixe », mais au moins, ça vit, et on assiste à des phénomènes très intéressants. On peut par exemple voir le vent plonger littéralement dans l’eau, et, stoppé net dans sa progression, repartir vers le ciel, emmenant avec lui des gerbes d’eau à 20, 30 mètres de hauteur. A l’image de ces masses d’air et d’eau en mouvement, je vois des mouettes planer à 50 mètres de hauteur et brusquement s’effondrer sur une proie sous marine. C’est en remarquant un groupe relativement dense de ces oiseaux, que mon attention se porte sur la risée au dessous d’eux. Ils survolent un banc de poisson. Un regard plus attentif, et les jumelles à l’appui, et j’aperçois que ce banc est correctement cerné par des dauphins à aileron noir, surement en chasse eux aussi. Dans l’agitation générale, on devine des mouvements harmonieux, une sorte de danse. Les dauphins doivent être une vingtaine, et le banc se déplace. Bientôt, on ne les voit plus.
Après une rapide promenade sur la plage où nous croisons deux oystercatchers (oiseaux noirs au bec et aux yeux rouges), et les conditions climatiques empirant, nous entamons la remontée au cottage. Pour cette petite grimpette, pas facile, nous sommes accompagnés d’un oiseau dont je ne connais pas le nom, noir, de la taille d’un moineau, et qui a tenu a nous suivre pendant 10 minutes, volant même en stationnaire devant moi, me devançant, puis rejoignant Seb. Posé sur le sol, il écarte sa queue en éventail : celui-ci est tout blanc, avec une seule plume noire fichée au milieu.
Nous voilà rentré au cottage, et après les 4 heures de promenade dans le froid et le vent, le pouvoir d’attraction de la cheminée est à son maximum. Le vent est maintenant déchaîné. Le temps de prendre une douche et Brian nous rejoint pour nous annoncer que la zone est sous une alerte de tempête : le vent souffle du nord à environ 100 km/h. La conséquence directe est que nous sommes bloqués ici : nous devions partir demain matin, mais la météo ne prévoit pas d’améliorations avant demain midi, au mieux. Je n’ai pas encore appelé Al, mais dans ces conditions là, je ne voudrais pas moi-même monter dans l’avion, même s’il insistait.
Quant à Daphné, les bourrasques lui font peur : elle a délaissé la cheminée pour aller se réfugier sous les couvertures du lit !
Au chaud à l’intérieur, nous profitons de notre repas du soir. Plus tôt, j’avais mis deux muffins à réchauffer sur la cheminée. Ceux-ci sont maintenant à point et diffusent une odeur savoureuse de chocolat. La nuit tombe, et après avoir un peu bouquiné, nous partons nous coucher.
Lundi matin.
Le vent n’a pas plaisanté cette nuit. Je l’ai tellement entendu que ça m’a empêché de dormir. Je me lève pour remettre une buche dans la cheminée : c’est la seule source de chaleur dans la maison, et elle est presque éteinte. Il fait froid et en attendant que le feu reprenne, je repars sous la couette avec mon portable pour appeler le boulot, et prévenir de notre situation. Il pleut des cordes dehors, et on ne voit pas plus loin que le bush. Même la mer a disparu.
Le petit déjeuner est vraiment un moment que j’adore. La maison et les corps se réchauffent, et éclairés par la petite flamme de la lampe à huile, nous mangeons tranquillement. Dehors, le vent et la pluie sont déchaînés, dedans, une ambiance douce et chaleureuse : les couleurs jaunes produites par les flammes, les parfums du feu de bois, le goût de la confiture, le bruit de la pluie, des gouttes qui crépitent contre les carreaux puis dans les flaques …
Plus tard, après avoir rédigé quelques mails, nous partons nous promener. Seb se couvre correctement, et j’en fais autant. Avant de partir, je passe chez Brian et Ellen pour les avertir des prévisions météo, transmises par le pilote. Celles-ci ne sont pas terribles, et il semblerait que nous devions attendre au moins jusqu’à demain matin.
Nous partons vers la plage au ponton, celle par laquelle nous sommes arrivés. Vendredi soir, c’était calme, posé, chaud. Maintenant, il faut vraiment être vigilant et surveiller qu’aucun morceau de bois ne nous passe de trop près. Le chemin est raviné, et le vent nous secoue par rafales. Mais j’aime ça.
En descendant, je remarque quelques cascades nées un peu partout sur les collines. A quelques pas de la plage, nous bifurquons sur un chemin que nous n’avons pas vu samedi. Celui-ci évolue dans des sous bois qui, en s’écartant par endroits, nous laissent voir la baie Waitata. Ses eaux sont un mélange de bleu profond, bleu turquoise, et à mesure qu’elles s’approchent du bord, beige de la terre rapportée par les torrents. Les vents donnent l’impression de souffleries géantes placées au dessus de l’eau, emportée par tourbillons.
Puis la pluie se calme, et je peux entendre les gouttes tomber doucement sur ma capuche. Je profite de ce calme pour respirer les parfums que la forêt exalte dans ces conditions, dans un air chargé d’oxygène et d’eau.
Sur le chemin du retour, nous croisons Ellen et Brian, en promenade eux aussi. Comme nous sommes un peu à court de nourriture, ils nous proposent de partager leur repas ce soir.
Le reste de l’après midi sera passé sous la couette, à siester tranquillement. J’en profite pour entamer « Quelqu’un d’autre » de Tonino Bénacquista. Par ce temps, et après notre ballade du matin, pas grand-chose à faire d’autre.
Vers 17h, nous rejoignons la maison de Ellen et Brian. La courte distance est parcourue dans le noir, à la lumière d’une lanterne, dans les flaques du sous bois. Chez eux, c’est assez rustique, mais chaleureux, impression renforcée par la chaleur de leur godin. Ces gens sont charmants et nous ne voyons pas la soirée passer, tant leurs histoires sont captivantes. C’est probablement très courageux et très beau d’accomplir ce rêve, de s’installer au milieu de nulle part et de partir de zéro, de rien. C’est forcément lourd de conséquences, quand on décide de se lancer, mais beaucoup d’entre nous, j’imagine, souhaiteraient accomplir leur rêve comme eux l’accomplissent. Mais les contingences viennent souvent freiner nos envies, et c’est rassurant de croiser des gens comme eux qui vont jusqu’au bout. Au vu du résultat atteint, et même s’ils ne sont pas encore au bout du chemin, ils ne peuvent qu’être fiers, et moi de leur tirer mon chapeau.
De retour au cottage, la nuit est vraiment tombée maintenant. Le vent avec. Tout est très calme, à part quelques Wekas qui s’agitent dans les fourrés. Avant de rentrer, je regarde le Sound, éclairé par la lune. Le ciel est constellé d’étoiles et de quelques nuages, immobiles. Cette immensité de mer, parsemée d’îlots, silencieuse et désertique, teintée de noir, bleu nuit, blanc glacial, est saisissante. Mais il faut rentrer maintenant, car les conditions sont maintenant réunies pour que Al vienne nous chercher demain matin. Il nous faut préparer les affaires, mais aussi nous préparer nous, à quitter ce petit bout de paradis.
Mardi matin.
Le départ a été à nouveau décalé, la situation météo ne s’arrangeant pas du côté de Porirua. Nous patientons la matinée. Le temps, de ce côté ci du détroit est au beau fixe, ce qui rend l’attente agréable.
Vers midi, Al vient nous chercher et nous emmène à Picton. C’est encore sur l’Ile du Sud, et du côté protégé. C’est à mi-chemin avec Porirua, et nous fait survoler tous les Marlborough. C’est bien sur d’une beauté à couper le souffle, les couleurs bleutées de la mer se mélangeant aux verts des collines. Sur une plage, j’aperçois même l’épave d’un galion, c’est le seul nom que je trouve, comme si le Black Pearl de Jack Sparrow s’était échoué là.
Une fois à Picton, nous apprenons que les prévisions ne nous permettront pas de rentrer en avion le jour même. Nous reste la solution du ferry qui nous fera rentrer à Wellington. Je passe l’après-midi à poursuivre et terminer « Quelqu’un d’autre ». Vers 18h, nous embarquons. A cette heure ci, il fait déjà noir, et la traversée nous promet quelques jolies vagues. A mi-chemin, je sors sur le pont pour les observer, éclairées par la lune, soulever le bateau, et vice versa. C’est la première fois que nous traversons le détroit par la mer, et ça me permet de faire le lien entre les deux îles, les positionner l’une par rapport à l’autre. Vers minuit, nous accostons à Wellington.
Benoit, le 14 Juin 2006