Le virus woke

Si le virus woke est un virus de l'esprit, que dire du virus de la desinformation?

L’air du temps… Malgré ce que porte l’esprit « woke », les conservateurs ont réussi a le transformer en un terme péjoratif, quitte a s’opposer a tout progressisme, qu’il soit pour une meilleure égalité hommes/femmes, blancs/noirs, cultures minoritaires (Maoris) ou identités sexuelles. Ces petites personnes, voyez-vous, sont irritées par ces concepts nouveaux d’égalité et d’avenir meilleur, car on leur « impose » cette vision. Peu importe que cette plus grande visibilité des différences soit une réponse a tant et tant d’années d’oppression violente, non, le petit monsieur veut son écran de télé bien pur comme il les aime, et qu’on remette ces différences dans le placard où elles étaient rangées.

Certes, certains justiciers de la morale ont poussé le curseur trop loin en décrétant se trouver du bon cote de la force, et que le moindre désaccord signifiait le crétinisme absolu. Ils ont ensuite établi des barrières a ne pas franchir, s’estimant seul.e.s à savoir ce qui est politiquement correct de ce qui ne l’est pas, dans le sillage du mouvement metoo. Ils et elles ont tourné le dos a cette notion de base que si on doit emmener le petit esprit vers une plus grande ouverture, on n’a pas d’autre choix que proceder progressivement, et a son rythme.

Certes aussi, certains et certaines extrémistes sociaux ont même pousse la bêtise a retourner le racisme dans l’autre sens, en pointant du doigt le « pale, male, stale », expression abjecte présupposant que « deux maux s’annulent mutuellement ». Je peux comprendre, cela étant, qu'après des siècles de persécutions, il est difficile de tendre l’autre joue, et encore plus de s’élever au-dessus de la mêlée. Mais le résultat du « racisme à l’envers » est la : être woke, c’est, pour ces conservateurs version 2023, être atteint d’un virus, le virus woke: « Rentrez chez vous, faites y ce que vous voulez, du moment qu’on ne vous voit pas, et laissez nous etre blanc en paix », hurlent les réacs du jour, sans réaliser qu’une fois encore, par ces propos, ils relèguent tout un pan de la société aux statuts de sous-humain, ne réalisant pas non plus qu’ils rejouent la même scène jouée quand les gays sont sortis du bois, il y a 50 ans.

Certes enfin, la cancel culture et l’instauration brutale de limites autour de ce qui est considere comme étant politiquement correct n’a pas aide. Mais je refuse de croire que ces excès, sur-mediatises, représentent le cœur du « mouvement woke ». Je crois au contraire que les valeurs portees par le mouvement doivent rester : qui ne voudrait pas d’un avenir ou toutes les categories opprimees sont traitees vraiment d’egal a egal ? Surement est ce une utopie a laquelle tout le monde peut aspirer ? Et même si il y a quelques debordements, portes par les justiciers de la morale, c’est un prix peu cher paye pour améliorer la vie de centaines de millions d’invidivus.

Le mouvement conspirationniste, avide de cibles faciles pour alimenter sa machine à colère et à peur, a bien sûr ajouté le concept du virus woke à son catalogue. Pour eux, c’est sur, il y a un lobby LGBT qui veut imposer une éducation sexuelle débridée dès le berceau. Mais quelle ironie tout de même, que d’être accuse d’être atteint du virus woke quand on est soit même atteint du virus de la désinformation ? Quand on se fait manipuler jusqu’aux os par les théories du complot, en détachement total avec la réalité ?

Si j’étais sociologue, je risquerais quelques explications. Il est vrai que les forces du progrès se renforcent, et que les changements sociétaux, nécessaires face au risque climatique ou autres sont très, très rapides, à l’échelle du groupe. On peut dès lors penser que le système est chauffé à blanc, qu’il doit se transformer a une vitesse jugée bien trop rapide pour beaucoup. Ainsi, l’homéostasie joue à plein, et les forces du statu quo se renforcent, à puissance équivalente, créant des tensions et exacerbant encore davantage la polarisation. Ce chaos grandissant arrange bien des personnes, sincèrement soucieuses (de leur point de vue) de préserver leur mode de vie, ou simplement cyniques. Jusqu'où ce chaos nous emmènera-t-il?

Et pourtant, le wokisme était porteur d’espoir : une société sans préjugé, sans jugement, laissant les individualités être, sans oppression. Un terme qui est apparu dans les annees 80, et utilise par les noirs, victimes demesurees des violences policieres, puis adopté par toutes les communautés opprimées quand le terme est sorti de la confidentialité à la mort de George Floyd. « Être woke », c’était porter les idéaux d’inclusivité, quel que soit la couleur de peau, l’origine ethnique, l’orientation sexuelle, ou le genre. Certes, tout cela avait été déclenché par des drames, mais la révolution pacifique était porteuse d’espoirs pour beaucoup de gens, moi y compris. C’est pour ça que j’étais horrifié quand les personnes se revendiquant « woke » retournaient la même agressivité et stupidité à l’encontre des gens qui avaient été leurs bourreaux, parfois à leur corps défendant. Peut être aussi que, pour les bourreaux, souvent pères de famille, blancs et hétérosexuels, la remise en cause était trop dure : oui, beaucoup avaient été, sans forcement sans rendre compte, un peu homophobe, un peu raciste, un peu misogyne, et non, nous, les communautés cibles n’étions plus près a accepté. Même la tolérance, réclamée pendant un temps, avait un gout âpre par l’infériorité implicite qu’elle sous-tend : être toléré, c'etait, au final, trop condescendant. Mais au fond, quand on les écoute critiquer le virus woke, les jambes bien écartées, les couilles pendantes et le cerveau au placard, ils ne réclament ni plus ni moins que de pouvoir continuer a rabaisser en paix.

Face à tant d’ignorance et de manque d’empathie, la seule voie qui permettra des changements profonds sera celle de l’intelligence, de la prise de hauteur, et de la patience. C’est valable d’ailleurs pour les changements nécessaires face à la crise climatique (qui malheureusement, et c’est contradictoire, réclame d’agir avec urgence). C’est le chemin que j’ai choisi pendant longtemps, mais qu’il m’est de plus en plus difficile de tenir : les humiliations que j’ai subies, simplement parce que j’étais différent, m’ont causé des blessures profondes, encore très sensibles. Bien malgré moi, je suis souvent assommé quand j’entends encore des remarques homophobes autour de moi. J’ai alors peur pour moi, mon couple, ma famille d'un retour en arrière. Ces remarques sont encore plus violentes quand elles viennent de proches, tellement aveugles quand ils me déversent leurs arguments sur le « virus woke », choisissant, peut-être sans le savoir, d’avoir l’indignation sélective : le « gender swap », rien n’a redire; le « skin swap », passe encore; mais « un baiser homo » et ça y est, il y en a trop à la télé. Cry me a river! Après des siècles de stigmatisation, monsieur ne peut supporter de voir un amour non hétéro sur son écran !

Et que dire du fait divers cité en exemple d'un monde en pleine dérive morale, où une école lugubre pousse la bêtise jusqu’à, parait il, apprendre le spanking en maternelle ? Dois-je en déduire que le monde envoie tous les homos dans des camps de rééducation, car tel ou tel village perdu en héberge encore un ? Ou comment tirer des généralités et monter sur ses grands chevaux pour une histoire à peine valable dans un magazine people de région.

L’air du temps… Où des sujets complexes, sensibles, à vif sont maltraités par un monde, des politiques et des médias qui apprennent encore à communiquer comme un enfant de 4 ans, en 140 caractères. Le monde se polarise, il pense en noir et blanc, quitte à rejeter un rêve universel, où chacun pourrait être lui-même, sans jugement, soutenu et porté par ses proches. Qui aurait pu imaginer que cette humanité serait si dure à adopter ?

Benoit, le 7 Décembre 2023

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