Benoit - 22 Août 2024
La vie nous malmenait un peu et notre Turangawaewae, en plus de me manquer, avait seul le pouvoir de remettre les choses en perspective. J'avais traversé mon opération, et je subissais les répliques du choc, physique et psychologique, quand la débâcle du boulot de Seb nous a frappé. Face à cette nouvelle difficile, j'ai d'abord été en déni total, rapidement englouti par la rage. Mais ce séjour à d'Urville s'imposait comme une évidence, une nécessité et un cadeau dont j'appréciais la juste valeur. Dans ce lieu de ressourcement, loin des soucis du quotidien, j'ai pu me reconnecter, prendre du recul et me recentrer sur l'essentiel, entouré de ma famille et bercé par la nature environnante.
La vie nous malmenait un peu, et notre Turangawaewae, en plus de nous manquer, était le seul endroit capable de remettre les choses en perspective. J'avais traversé mon opération, subissant encore les répliques du choc, tant physique que psychologique, lorsque la débâcle du travail de Seb nous a frappés. Quand il m'a annoncé que son licenciement était confirmé, j'ai d'abord été dans un déni total, rapidement submergé par la rage. C'était injustifié, immoral : comment expliquer une restructuration au moment même où l'entreprise affiche des résultats historiques, alors que le marché de l'emploi à Wellington est un véritable désert ? À cela s'ajoutait la précarité de mon propre poste : comment ferions-nous si, à mon tour, je me retrouvais sur le carreau ?
Nous avions prévu de venir à d’Urville de toute façon, mais cette annonce précipita les choses. Une fenêtre météo était ouverte, et un ferry, l'Aratere, pouvait nous prendre. C'était un Interislander, avec un horaire un peu moins brutal que d'habitude : à 5h30 du matin, le dimanche, nous embarquâmes dans le ferry presque vide. La traversée fut sans encombre, sereine, et offrait déjà des raisons de se calmer, de prendre du recul.
Vers 13h, nous étions en route vers d’Urville, avec une légère houle et un peu de vent. Sur la route, alors qu’Adan serrait les poings d'une angoisse exagérée, un groupe de dauphins croisa notre chemin et nous accompagna, devant et derrière le bateau, pendant cinq bonnes minutes. C'était féerique, gracieux : un cadeau qu'il était difficile de ne pas prendre comme un signe. Un peu plus loin, posé sur l'eau, un albatros ne perdait rien de la scène.
Remis de nos émotions, nous rejoignîmes Jane qui nous confia Romy pour quelques jours. Arrivés à la maison, rien n'avait bougé, tout était là, blotti dans un calme froid et solaire. Nous étions de retour chez nous.
Les jours suivants, nous nous sommes retrouvés. Il n'y avait que nous quatre et Romy. Celle-ci accompagnait les enfants qui partaient jouer dehors, leur rayon d'action augmentant petit à petit. Ils s'en allaient, équipés d'un talkie-walkie, explorer le bush. Un jour, ils nous revinrent après avoir atteint la crête, et pas peu fiers. Adan s’émancipait et s’affirmait : il nous cuisait des pancakes et m'apportait un café au lit, spontanément ! Cosmo avait atteint l'âge de raison, comme il aimait à le répéter, sur notre île. Il recevait des messages de la famille : Marraine Sandrine, Papi et Mamie, Matt et Jess, Manu, Mamie Nicole et Jo Akepsimas !
Nous pêchions, faisions du kayak, et nous promenions en descendant la rivière de TreeVie : la forêt semblait enchantée. Le contrecoup de l’opération continuait de se faire sentir, et je pris donc, au début du séjour, le temps de me remettre doucement en route. À mesure que les jours passaient, que les émotions retombaient et que la distance se faisait, je sentais mon corps et mon esprit retrouver leur force. Mon employeur devait se décider à poursuivre ou suspendre mon projet, mais la décision ne venait pas. Cela m'affectait de moins en moins, même si les conséquences d'une annulation resteraient sévères à court terme : je savais que nous retomberions sur nos pieds. Lors d'un passage à « l'arbre avec une vue », nous restâmes assis de longues minutes à admirer les collines ondulantes couvertes de bush. Au final, tout était là, dans la nature. Un jour, profitant des derniers rayons du soleil, Cosmo, Adan et moi fîmes même un petit plongeon du ponton : l'eau était à 12 degrés, mais sa douceur soyeuse valait bien quelques frissons.
Nous constatâmes aussi que le champ des huîtres se propageait : on en trouvait maintenant quelques-unes le long de Punt Arm. Cette fois encore, l'environnement nous nourrit amplement : huîtres, moules, poissons, biche et œufs (par Jane et Chris). À d’Urville, on mange bien, et je repris goût à étirer le temps à table. On se servait un petit verre de vin qui accompagnait une cuisine savoureuse. On se retrouvait, on discutait à nouveau, Adan nous amusait avec ses blagues et Cosmo avec ses tours de magie.
Ce séjour nous permit aussi d'avancer sur des projets ou quelques opérations de maintenance. Il y eut la touche finale du lit, avec la barre de lumière dans le banc, l'installation de la prise RJ45 (côté buanderie), le nettoyage des panneaux solaires. On essaya d'installer un DR avec le NAS de Nico, sans succès. Mais ce sont sans conteste les progrès réalisés sur le verger qui furent les plus impressionnants, voire complètement inattendus. D'abord, je n'étais pas sûr d'avoir la force physique pour avancer ce projet, ou que la météo nous permettrait de passer du temps dehors. Mais des opportunités se présentèrent, et surtout, tout le monde aida à sa façon. On commença donc par créer une petite clairière à côté de la maison, récupérant de fait une quantité phénoménale de bois de chauffage (avec du bois mort, débité avec Adan). La vraie surprise, toutefois, fut quand nous nous lançâmes, tous les quatre, dans le transport, le déroulage et l'installation de la clôture. Cent mètres de grillage et 50 kilos à manipuler dans le bush : il fallait bien être quatre !
Les matins, nous travaillions, la cheminée allumée en attendant l’arrivée du soleil sur la maison. Les enfants faisaient leur travail d’école, Cosmo tenait un journal. En fin d’après-midi, les enfants demandaient souvent un apéro, puis un film : ensemble, nous regardâmes *Les Visiteurs* et *The Life of Pi*. Le soir, au terme d'une après-midi souvent passée dehors, je reprenais un peu de travail pour compléter ma journée. Puis le temps se dégrada, recentrant la vie dans la maison. On relança l’hydro pour aider les panneaux solaires. Nous vîmes le vent et la pluie battre les baies vitrées. Sous un ciel chargé, et profitant d’une accalmie, Jane et Chris vinrent manger avec nous un samedi, amenant avec eux un plateau rempli de brioches à la cannelle. Nous étions là, dans ce cocon de chaleur, dissertant du monde et de nos vies, au milieu d’éléments déchaînés. Je ne les laissai pas repartir sans un « pain de d’Urville » et un sac de farine du Shelly Bay Baker. Romy nous quitta, ce qui fut un petit soulagement mais aussi une grande tristesse. Les nuages s’effilochaient sur la cime des matais dépassant de la crête en face de la maison.
Être à d’Urville n’est plus une découverte pour nous. Mais sa magie continue d’opérer sur nous, les parents, et les enfants. On se retrouve, on reconnecte, on réfléchit, sur nous, sur les autres, sur ce monde qui continue d’avancer sans trop savoir où il va. Surtout, on a vraiment l’impression de vivre, de vivre ensemble. Alors que cette parenthèse s’apprête à se refermer et qu’il nous tarde d’en découdre avec les embûches posées devant nous, notre venue s’impose comme une évidence, une nécessité et un cadeau dont nous apprécions la juste valeur.
Benoit, le 22 Août 2024