Jane et chris quittent l'ile

Lorsque j’ai reçu ce message de Jane, j’ai tout de suite compris que quelque chose clochait. L’intuition que nous avions eue lors de notre dernier séjour sur l’île se confirmait : Jane et Chris allaient quitter d’Urville. Cette annonce, bien que logique au vu des difficultés qu’ils rencontraient, nous a profondément affectés. Au-delà de la perte de précieux amis, c’était tout un équilibre qui s’effondrait, un lien avec la communauté locale qui se brisait, et des projets que nous avions rêvés qui devenaient encore plus incertains. Ce départ marquait la fin d’un chapitre, et il allait falloir l’accepter, même si l’émotion était forte, surtout pour Adan, qui peinait à retenir ses larmes.

Nos amis Hervé et Thea étaient à Wellington quand j’ai reçu un message de Jane : « Appelle-nous quand tu pourras parler librement. » Je choisis un moment approprié, et la nouvelle, pressentie lors de notre dernier séjour sur l’île, tomba : « Nous allons quitter l’île et retourner habiter à Nelson début mars » … dans une poignée de semaines.

Les raisons invoquées : un employeur, Ruben, insaisissable et pas très fiable, des perspectives professionnelles et financières peu reluisantes, et un déséquilibre du pouvoir trop fort entre le propriétaire des lieux et eux, déséquilibre dont il usait de temps à autre à son avantage.

La nouvelle n’était pas bonne et, Hervé et Thea étant là, je proposai de les rappeler quand nous serions au calme. Beaucoup de pensées me traversaient la tête, y compris la logistique du week-end surprise avec Seb (qui semblait compromise), mais je mis tout ça en veilleuse jusqu’au lendemain, où je passai l’appel, avec la famille autour.

Adan ne prit pas bien la nouvelle du tout et eut beaucoup de mal à retenir ses larmes. Pour nous, c’était avant tout la perte d’amis dont nous nous sentions très proches, alignés spirituellement, partageant les mêmes valeurs et des aspirations similaires. Mais cela allait plus loin : Jane et Chris avaient été un soutien logistique fiable et efficace sur l’île. Ils nous avaient aussi ouvert les portes de la communauté locale, dont l’accueil nous avait bluffés.

Parmi les petites choses qui disparaissaient, il y avait les morceaux de biche dont ils nous avaient fait profiter, les visites de Romy… Mais c’était aussi toute perspective de louer notre maison qui s’envolait, privée d’un soutien logistique local pour la préparer et la refermer entre deux visites.

Enfin, dans nos rêves les plus fous, nous avions imaginé que Jane aurait pu prendre en charge la scolarité des enfants si nous avions décidé de vivre sur l’île pendant un an : ce projet-là, déjà très hypothétique, devenait un peu plus inaccessible.

Durant la discussion, Chris mentionna aussi la possibilité que Ruben vende la ferme (preuve supplémentaire de son manque de fiabilité) et qu’il construirait à cet effet un héliport à côté de sa nouvelle maison afin de rendre sa propriété plus attractive. Comme il avait clamé à plusieurs reprises son dégoût pour les hélicoptères, cette dernière pirouette acheva de me le rendre antipathique.

Après que nous eûmes raccroché, tout le monde se regarda, dépité. J’écrivis ensuite ce message à nos amis :

"It was good to properly talk to you: thanks for making the time and giving us more background. We've been so lucky to have met you a few years ago. You gave us the keys to understand the island better, but more importantly, you gave us your love and let us become your friends. It's a precious gift we don't want to lose. That's why emotions ran high on our side, but as I said, it makes plenty of sense for you. I just wished we could have helped you remain on the island (and I’ve been scratching my head on many occasions on this topic). I’m wondering if the universe might work its magic and maybe, who knows, other opportunities will arise in the future."

J’ajoutai que notre porte leur serait toujours ouverte, à Wellington ou à d’Urville, et que notre paradis perché leur serait même accessible sans nous, s’ils le souhaitaient.

Pour Adan, c’était aussi une leçon de vie, amère : les choses changent parfois.

Benoit, le 9 Février 2025