Un anniversaire un peu special

Ce séjour à d’Urville avait une saveur toute particulière, une parenthèse secrètement préparée pour célébrer un moment important. Après un début d’année chargé, marqué par les défis du quotidien et le tumulte de la ville, j’avais ressenti le besoin impérieux de retrouver cette île qui nous est si chère. Loin du bruit et des contraintes, je voulais offrir à Seb un instant suspendu, une respiration, un retour à l’essentiel. Ce voyage fut plus qu’une simple escapade : il nous replongea dans une liberté presque oubliée, un rythme différent, où le temps et la nature prenaient à nouveau toute leur place.

Quand, fin janvier, nous avons quitté d’Urville, la famille croyait que nous ne reviendrions qu’au mois d’avril. En effet, de nombreux défis nous attendaient : il allait falloir s’adapter à Wellington College pour Adan, à un nouveau travail pour Seb. La question d’une visite au milieu du trimestre n’était pas vraiment à l’ordre du jour… sauf pour moi. Seb allait avoir 50 ans, et pour marquer le coup, je pensais revenir en mars rien qu’avec lui, en avion pour maximiser notre temps sur place. J’ai organisé tout ça en cachette et, quelques jours avant le décollage, j’ai révélé la surprise. Il fallait en effet qu’il s’aligne sur des horaires, et il était donc impossible que je lui dévoile tout cela au dernier moment.

Ainsi, le jeudi 20 février, nous avons déposé les enfants chez Laurent et Anne-Charlotte tôt le matin et avons pris la route pour Paraparaumu, choisi pour permettre un départ rapide avant une détérioration de la météo. La vue du ciel était bien sûr splendide et me fit un peu oublier mon dégoût pour ces machines volantes. Le vol fut relativement sans problème, sauf à l’approche de d’Urville où les choses se sont gâtées. Le ciel était toujours radieux, mais les turbulences, jusqu’à l’atterrissage, me firent serrer les dents.

À terre, Jane et Chris nous attendaient. Ils nous offrirent un petit café et du gâteau à l’orange, ce qui fut aussi l’occasion d’échanger de vive voix sur les raisons qui les avaient décidés à quitter l’île définitivement. Cette nouvelle avait été un choc : nous perdions des amis, un appui logistique important sur l’île et un accès à la communauté. Puis Chris nous emmena sur son bateau jusqu’à la maison. Là, une petite mauvaise surprise nous attendait : le ponton avait été un peu amoché par un visiteur malpoli qui, bien sûr, n’avait laissé d’autre trace qu’un taquet défoncé et un boudin éventré. Mais la météo était au beau fixe, et la volonté de profiter de chaque seconde forte, alors on passa outre.

Nous travaillâmes l’après-midi ainsi que le matin du vendredi. Mais invoquer les considérations professionnelles à d’Urville, dans ces circonstances, fut plus difficile que d’habitude. L’envie de jouir de chaque instant était très forte. Après un mois de janvier et février éprouvant, et un niveau de bruit à Wellington particulièrement élevé, il fallait beaucoup de courage pour résister à l'envie de débrayer complètement. Certes, il nous fallait nous réajuster à n’être qu’à deux et nous faire à l’absence des enfants, habituels métronomes de nos journées. Mais le calme était tel qu’il finit de nous désarmer totalement, aidé par un ciel parfaitement bleu. Le temps se mit à couler différemment, s’étirant et filant autour de nous sans que nous ayons vraiment prise. La liberté de temps et de mouvement était totale. Je me laissais flâner dans la forêt, j’observais les arbres, Seb passait du temps à la rivière pour refaire le barrage.

Par moments, le fait d’être privés de bateau ainsi que de dépendre des autres pour arriver et repartir nous pesa : la formule explorée ce week-end pour venir sur l’île avait ses avantages, mais pas que. De plus, mon genou droit était un peu douloureux depuis plusieurs semaines. Toute randonnée dans le bush était exclue. On se rabattit sur le kayak pour explorer une plage protégée des vents dominants, de l’autre côté de Mill Arm. L’eau y était délicieuse, les couleurs brillantes, vers la mer ou dans le sous-bois.

Le samedi et le dimanche furent à l’avenant, lascifs et contemplatifs. Chaque soir, baignés de soleil et rassasiés de nos baignades, nous finissions sur le deck, léchés par les derniers rayons, seuls et totalement libres. Les discussions coulaient sans interruption, sans barriere. L'absence d'information, dont le sevrage avait commence plusieurs mois auparavant, avait aussi soulage les esprits du poids de l'anxiete. Cette sensation, oubliée depuis longtemps, était enivrante et difficile à saisir. Le bien-être était total, mais la peur de le voir filer trop vite me taraudait.

Après ces quelques jours en totale apesanteur, il fallut contredire Seb qui s'etait demande a haute voix: "Pourquoi rentrer?". On ferma la maison tout doucement, gauches de ne pas nous appuyer sur la routine habituelle. Jane et Chris vinrent échanger un dernier café puis nous ramenèrent à Owhai Farm. Nous les serrâmes une dernière fois en leur souhaitant un déménagement fluide et que le nouveau chapitre de leur vie s’écrive en douceur. L’avion décolla, fermant une parenthèse presque onirique, faite de moments suspendus en forêt, sur l’eau, dans l’eau, à deux.

Benoit, le 23 Février 2025