Recit d'une escapade a Turangawaewae

En 2023, après une longue période d'absence, nous réussîmes enfin à retourner dans notre paradis familial niché au cœur de la nature sauvage, lors du weekend de l'anniversaire du roi. Les souvenirs des défis rencontrés lors de nos précédents séjours nous permirent de mieux naviguer les obstacles cette fois-ci, depuis un départ précipité à 2h du matin pour attraper le ferry jusqu'aux imprévus sur la route. Malgré une houle plus forte que prévu et une fatigue accumulée, nous arrivâmes finalement à notre maison perchée, où la sérénité du bush et le calme absolu nous enveloppèrent. Ce retour à d’Urville nous offrit non seulement un moment de détente bien mérité, mais aussi une occasion précieuse de passer du temps ensemble en famille, loin des pressions de la vie urbaine.

Contrairement à 2022, il avait été difficile, en 2023, de rendre visite à notre paradis entre les vacances scolaires. Après une longue période d’absence, le manque devenait physiquement insoutenable, et il m’arrivait parfois de manquer d’air quand mon esprit vagabondait dans le bush entourant notre jolie maison perchée. Aussi, nous nous étions promis de faire mieux en 2024, et l’occasion se présenta pour le weekend de l’anniversaire du roi, un mois pile entre le séjour précédent et le séjour suivant. Cette fois encore, nous dûmes faire face à quelques difficultés, mais à force d’expérience, nous les naviguâmes sans trop de stress. La première, c’était la météo, bien sûr, qui nous obligea à partir un jour plus tôt. Nous devions quitter Wellington à 2h du matin, ce qui en soi était déjà un effort, mais qui fut rendu encore plus difficile pour Cosmo et moi, qui avions prévu d’assister au BANFF, une tradition annuelle que je n’ai jamais manquée. Aussi, nous nous couchâmes à 21h pour nous réveiller à peine trois heures plus tard afin de rejoindre le ferry. À 2h, nous étions dans notre cabine… que l’équipage nous demanda de quitter à l’approche de Picton, 3h30 plus tard !

Jusqu’à Okiwi Bay, nous enchaînâmes le protocole habituel, là aussi contrarié par un des pneus du trailer, trouvé à plat. Heureusement, nous avions maintenant une roue de secours, et contrairement à l’année dernière, nous pourrions laisser le pneu troué au garage de Havelock. Bref, ce ne fut pas un drame, juste un léger contretemps. En arrivant à Okiwi Bay, Pam me permit de laisser la voiture en charge sur le camping, et avec le calme plat de la baie, la fatigue accumulée nous semblait une gêne bien dérisoire. Il faisait deux degrés sous zéro, le ciel était parfaitement bleu, il n’y avait pas un gramme de vent et la météo nous promettait une houle gérable de soixante-dix centimètres. Malheureusement, après avoir laissé passer Otuhaereroa Island sur bâbord, les choses se corsèrent : la houle était plus haute, plus puissante, et le vent la rabaissait avec force, engendrant une écume furieuse sur la crête des vagues. Par chance, toute cette colère venait du Sud, ce qui nous permit d’avancer, bien que malmenés par les éléments. Une telle force de face eût été infranchissable ! Alors je réduisis la vitesse, négociai chaque vague, les surveillai alors qu’elles approchaient de l’arrière du bateau, virai, réfléchis à passer derrière Paddock Rocks pour être un peu abrité et renonçai au dernier moment pour ne pas risquer de subir une contre-houle traîtresse. Nous ne fûmes jamais en danger, et tout le monde à bord fut vaillant, sans vraiment craindre, mais passer la pointe de Greville Harbour, après 1h30 de bastonnade, fut un soulagement.

En redescendant vers le chenal, le bateau cessa enfin de tanguer dans tous les sens et prit de la vitesse. Le contraste avec l’extérieur était brutal, tant le calme régnait. En arrivant, il était 13h. Nous déchargeâmes les affaires du bateau rapidement, mais c’est bien au ponton que nous mangeâmes notre pique-nique. Puis je partis chercher la remorque. Le séjour allait être très court, et nous avions peu de choses à remonter et à ranger. Grâce à notre nouveau système électrique, la maison fut facile à lancer. Tout le monde était content. Je m’étais promis de ne pas m’embarquer dans des projets pour profiter des enfants, et profiter de d’Urville. Aussi, dès que tout eut trouvé sa place, toute la famille partit pour la rivière. Je disparus quelques minutes pour faire un grand câlin à mes deux matais.

Adan, qui avait commencé la semaine avec le school camp, était encore en train de se remettre de son déficit de sommeil. Pour permettre aux enfants de traverser ce voyage matinal, j’avais promis crêpes au dîner, dessin animé et cheminée, et c’est ce que nous fîmes pour terminer cette journée commencée près de vingt heures plus tôt.

Le matin suivant, je travaillai dans le nouveau bureau, avec la nouvelle chaise et la nouvelle lumière. Le calme total de l’endroit, parfait pour travailler, me fit réaliser à quel point nos efforts avaient fini par habiter la maison d’une façon qui nous ressemblait. La chambre et le bureau étaient maintenant accueillants, tout en ayant relevé le niveau fonctionnel : nous avions maintenant un « habitacle » qui correspondait à notre style de vie, aux besoins liés à notre activité professionnelle et à la structure de la famille.

Les enfants, malgré la fatigue et un peu de rhume pour Adan, apprécièrent profondément être sur l’île. Pour ma part, je fus écrasé par la détente. Le calme occupait tout l’espace sonore, uniquement habité par de délicieux bruits de nature : le souffle du vent, les clapotis de la rivière, le chant des oiseaux. Le paysage étalait ses courbes délicates pour souligner les couleurs du bush, les couleurs de l’eau. La composition de la forêt témoignait d’une grande harmonie complexe et interconnectée. Pour moi, libéré de tout le bruit citadin, de dedans et dehors, je fus submergé par cette injonction implicite mais non négociable de me détendre. Ici, je savais que ce calme était solide, il était là pour rester, et je sentais chacun de mes points de tension glisser de ma tête et chaque cellule de mon corps dans le sol.

Concentré, je fus très efficace pour écluser toutes mes tâches, sans recourir à mes distractions habituelles. Libéré des pressions urbaines, je pus aussi me confronter à une crève latente sans lui laisser la moindre chance. Sur une idée de Seb, nous partîmes un après-midi pour une promenade dans le bush : d'abrd vers Tree-vie, puis en arrivant à l’endroit où le sentier tournait en épingle, nous plongeâmes dans la forêt, en direction de la rivière, où les enfants eurent des crêpes pour goûter. Après un petit crochet en amont du torrent pour revoir « la gorge », nous redescendîmes la rivière, un exercice qu’adoraient Cosmo (« c’est comme une grande aire de jeu ») et Adan (« on dirait qu’on fait du parkour »).

Le lendemain, une tempête de vent s’abattit sur l’île : les baies vitrées vibraient et laissaient entrer un peu d’air. Les enfants partagèrent leur temps entre les jeux vidéo et des activités dehors pendant que nous éclusions quelques petites tâches. Cosmo se lança, de sa propre initiative, dans la création d’un herbier, une activité qui inspira aussi Adan. Seb aida Cosmo dans son projet, puis lui fit lire quelques livres suggérés par Nicky, l’assistante de lecture. Même si ce n’était pas une activité dont il raffolait, il était clair que Cosmo savourait le moment passé avec son Papa. De mon côté, je partis explorer les alentours directs de la maison, toujours en quête d’un endroit où construire notre verger. Il y eut aussi une promenade le long de la côte dégagée par la marée basse, ce qui ne fut pas suffisant pour apaiser les quelques accrocs entre Adan et Cosmo. Le soir, beau joueur, je préparai un apéro dans le salon, à côté d’une cheminée ronflante, et face à Wonka, un film famillial. Tous les ingrédients étaient là pour ravir les enfants et les parents.

Nous devions rentrer sur Wellington lundi, mais à la lecture des prévisions, dimanche matin, il était clair que notre retour devrait avoir lieu dans la journée. Nous ne pourrions voir Jane et Chris, ce qui fut une déception. J’essayai de négocier de passer le lundi avec Jono et Heidi, mais ceux-ci n’étaient pas disponibles. Heureusement, je pus avancer le ferry. Notre chargement était léger et vider la maison fut rapidement exécuté. Nous eûmes le temps d’une petite promenade, dans un décor aujourd’hui complètement apaisé. J’étais déterminé à plonger au moins une fois, ce que je fis. La température de l’eau dépassait à peine 14 degrés, et je sortis de l’eau rapidement, satisfait. Séchant au soleil, je méditai sur la difficulté de venir à d’Urville. Je conclus que si nous revendions la maison pour une autre, plus facile d’accès, l’expérience serait forcément inférieure, puisque d’Urville était parfaite.

Sur le retour de d’Urville, vers Okiwi Bay, la houle s’était effectivement calmée, profitant de l’absence du vent depuis la veille au soir. Après la tempête totale, ça faisait du bien et c’était rassurant. On rejoignit le rivage en une heure. Au final, le séjour avait été aussi court que prévu. C’était frustrant mais en même temps nécessaire, pour pouvoir attendre notre prochaine visite dans un mois.

Benoit, le 2 Juin 2024